prix de poésie du monde français et francophone

Signataire du Manifeste électrique dans les années 1970, Zéno Bianu est l’auteur d’une œuvre foisonnante, interrogeant la poésie, le théâtre, le jazz, les arts plastiques et l’Orient. Ses poèmes ont notamment été publiés chez Gallimard (Infiniment proche, Le désespoir n’existe pas, Prendre feu - avec André Velter) et Fata Morgana (Traité des possibles, Le Ciel intérieur, La Troisième rive).
Ses écrits entrent souvent en résonance avec les grandes figures-limites de l’art : Antonin Artaud, les poètes du Grand Jeu, Marina Tsvétaïéva, Van Gogh, Soutine, Yves Klein… Attentif à convoquer toutes les voix dans une sorte de chambre d’échos universelle, il multiplie les lectures publiques, à la frontière de la poésie, du théâtre et du récital-jazz. Il a ainsi enregistré plusieurs CD, dont Dans le feu du bleu (Thélème), avec Denis Lavant et publié Poèmes à dire, une anthologie de la poésie francophone contemporaine célébrant l’oralité (Poésie/Gallimard). On lui doit également une trilogie de jazz poems aux éditions du Castor Astral : Chet Baker (déploration), Jimi Hendrix (aimantation), John Coltrane (méditation).
Ses pièces et adaptations, éditées par Actes Sud-Papiers, ont été représentées au Festival d'Avignon et à l'Odéon-Théâtre de l’Europe, notamment Le Chevalier d’Olmedo, dans une mise en scène de Lluis Pasqual (Cour d’Honneur du Palais des papes), avec Jean-Marc Barr, L’Idiot, dernière nuit, avec Denis Lavant et Un Magicien, avec Robin Renucci. Ses textes ont croisé les voix de Tchéky Karyo, Jacques Bonnaffé, Jean-Luc Debattice, François Marthouret, Pierre Clémenti, Isabelle Carré, Juliet Berto, Geneviève Page, Thierry Hancisse, Clovis Cornillac, Agnès Sourdillon, Elise Caron… Familier des poétiques orientales, il a composé deux anthologies de haïkus avec Corinne Atlan (Poésie/Gallimard).
Bleu Klein
Un jour tu es entré dans le bleu
comme on pénètre dans la vraie vie
tu es entré dans le bleu
tu as fait le pari de l’immensité
et ce fut comme un sésame
un passage sur l’autre versant du miroir
ce ciel qui emplissait tout
la respiration des galaxies
la cadence des univers
le souffle magnétique de la Grande Ourse
un jour tu es entré dans le bleu
pour n’en plus jamais revenir
ce bleu ardent électrique
invulnérable
tu t’es plongé dans un bain d’indigo
au centre de l’horizon
pour voir tout en bleu
ligne de ciel
ligne de cœur
pour te faire la belle
la belle bleue
avec tes pinceaux vivants
l’intensité l’intensité l’intensité
pour devenir bleu d’émotion
découvrir ce lâcher de ballons bleus
au fond du cœur
ce saut dans la poésie
où la création recommence
à chaque instant
où l’éternité a la grâce des funambules
une énergie capable de forcer la pesanteur
une vie vouée au judo du bleu
une fête de l’infini
pour les marcheurs d’aurores
Eurydice aux stilettos
lumière au nœud de la lumière
c’est l’heure annonce Orphée
l’heure de caresser les poèmes
et de respirer les tombeaux
l’heure du grand consentement
à la trame des ombres
à la première alliance secrète
dans la pulpe
d’un chaud sommeil de salamandre
Eurydice porte des stilettos dorés
et l’amour n’en finit plus de se retourner
Eurydice-Ariane rallume les âmes
avec son couteau de feu
pour des enfers de délices
des rosées de sueur céleste
des sonnets de miel et de musc
respire ne respire plus
cela tremble cela vit
cela s’engendre cela flamboie
et chevauche les nuits
d’un lent désordre élégant
Gratitude
En songeant infiniment
au Dylan de Blonde on blonde
à la croisée des chemins
au bord des univers
éruptif et chatoyant
le fantôme de l’électricité
chevauche
sa monture chromée
depuis ce jour de juin 66
où ta moto a ripé
dans les couloirs du temps
tu sais
que toute vie
est un rêve clandestin
d’une aube à l’autre
tu as traversé la démesure
jeteur de charmes
tu sais
que chaque seconde
vibre comme un phosphène
coureur d’autres versants
ouvreur des passages
de la Désolation
tu accueilles
la vraie nature du monde
solaire et lacérée
ouvreur de sirènes
au fond des âmes
homme aux mille chagrins
tu as payé
du sang de tes syllabes
éperdues
tu as mille fois
changé de peau
sans recul ni abandon
tu as payé
en doses de silence tremblé
tu es quitte
le chaos est un ami
le feu
doit toujours brûler
jusqu’au bout
au plus chaviré
au plus irisé
tu éprouves
en continu
la force exacte du vent
comme si les anges t’envoyaient
des messages
en certains endroits précis du cerveau
chaque nouveau matin
est une relique
en lisière de la forêt
tu acceptes de tout perdre
tu aspires
toutes les notes
dans ton porte-harmonica
miroir du souffle
simplement vivant
le cœur là où il faut
sans attaches
au-delà du dernier mot

Prix Guillaume Apollinaire
Membre du jury
Zeno Bianu
Paris, France
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