prix  de  poésie  du  monde  français  et  francophone
Née en 1982, Adeline Baldacchino est écri-vaine et magistrate. Dans ses essais, romans, recueils de poèmes, elle s’intéresse à ce que la magie fait à la politique (Notre insatiable dé-sir de magie, Fayard, 2019), à ce que la joie fait aux corps, à ce que les mots font au lan-gage, quand ils essaient d’indiquer une voie possible pour changer le monde et transformer la vie. On trouve notamment aux Hommes sans Épaules - Théorie de l’émerveil (2019), à l’Ail des ours - De l’étoffe dont sont tissés les nuages (2020) et chez Rhubarbe sa poésie - 13 poèmes composés le matin (2015), 33 poèmes composés dans le noir (2017), Le chat qui aimait la nuit (2020). En 2021, elle a publié un essai sur la Politique de la joie de Raoul Vaneigem (Michalon) et, en 2023, des Microju-bilations, chroniques de voyage (Rhubarbe) et Une joie douce et sauvage, méditation sur la maternité heureuse (Michalon). Adeline Bal-dacchino est membre du jury du Prix Apolli-naire.
Lettre aux vivants
(extraits)


ça grince dans le temps
(désir et colère confondus)
quand tu cherches la marée haute
la révolte comme une laisse de mer
ne ricane pas trop là-bas
(toi qui fais grise mine)
car rira bien le dernier
qui ne saura plus rire ni se battre
je t’entends qui sanglotes sans cesse
(paumé dans ton vertige)
loin des étoiles fixes
aveugle aux comètes filantes
mais celui qui s’effondre à petit feu
(dans la parole qui patine)
rira bien le dernier
qui ne saura plus aimer ni vouloir

ça grince dans le temps
(charrois de stupeur)
combien de lunes encore
avant de changer le monde ?
ne répète pas sur ce ton si las
(mais qu’est-ce qu’elle raconte ?)
pas grand-chose elle dit juste lève-toi
et crie plutôt que de marcher
car il n’est pas de miracle qui tienne
(ni de pains multipliés dans le petit soir)
c’est toi qui enfonces les grumeaux du rêve
tout seul dans la pâte chaude
et c’est encore toi ce levain
(celui qui lève et celui qui soulève)
jusqu’à ce que ça sente bon
le pain des grands matins


ça grince dans le temps
(l’entends-tu ?)
rien d’autre que ce bruit de manches qu’on retrousse
ce frémissement d’huile sur la braise
ce craquement de tendresse
(à l’aube rugueuse)
la promesse des mains tendues
qu’on rattrape au bord du gouffre
tout ce qui résiste
(et qui devient)
juste aussi vivant que ton amour et que ton désespoir



Notes-poèmes
(extraits)


Note bien qu’il n’y a rien de mieux à faire que de regarder la mer
en face
qu’on ne rembobine ni les fils à tisser les miracles ni la laine sur le dos des moutons
qu’on ne remplume pas une mouette qu’on ne rempote pas une fleur épouvantée
qu’on ne peut pas ne pas avoir été

Note bien que l’aube contiendra des missiles et des fulgurances
des colères et des croix du feu des comètes et d’autres fragments encore
qu’elle se rallumera comme une torche même quand tu n’y seras plus
même quand elle n’aura plus de nom dans aucune bouche
même quand il n’y aura plus de bouche note bien
que la collision des étoiles nous dispersera plus sûrement
que toutes les balles perdues que tous les brasiers pour faire des cendres
que nous y serons tous
et que nous n’y serons plus

(…)

Note bien que ta mémoire palpite comme une antenne
qu’elle aura comme elle des jours de tempête
qui ploient sous le poids des vents

Note bien que tu ne t’écris que pour ne pas t’écrier
que tu n’es fou que de ne l’être pas assez
que tu ressembles déjà à ton ombre
que la chair en plus ne change rien à l’affaire
tant que la lumière ne te traverse pas

que sans fissure tu ne serais qu’un bloc obscur
lancé dans plus nuit que toi que sans fêlure tu n’aurais rien
ni ta mémoire ni son mal ni ta fièvre ni sa peur

Note bien que les mots ne sont que d’autres manières de sangloter
qu’ils ne t’empêcheront jamais de tournoyer de te noyer
de t’effilocher de te décomposer
de te défaire même de ce que tu croyais le plus dur de toi-même
de ton squelette
qui sera poudre
de corail

c’est-à-dire une autre plage
dans le même monde.

(…)

Note bien que les mots qui s’écoulent de l’âme
comme du sang frais
ne doivent pas être épongés
que les caillots font des poèmes
que les poèmes font des petits
que les très petits ont de très grandes joies

regarde ce qui se passe de l’autre côté de la vitre
du même train
la trace des mains de l’amant dans la buée
la forme des étoiles de mer et des étoiles jaunes
mal cousues sur la tunique d’Irma
qui meurt à Ravensbrück
souviens-t’en pareillement
de la cendre et de la joie
prends tout dans tout ton corps qui s’embrase
à force d’embrasser

prends tout sinon tu seras pris

Note bien que tu n’auras pas tout compris
que tu ne comprendras jamais tout
ni le monde ni les pages qu’il tire de toi
quand il écrit rouge et puis noir
quand il pétrit l’encre que fait le temps
de ta propre sueur

jusqu’à la fin dans un cri
de rage ou d’orgasme
jusqu’à la fin tu ne comprendras jamais tout
ni le monde ni les fruits qu’il tire de toi
quand il procède à ses propres boutures

Note bien que si l’on t’aime on te dira de faire ta part
voire de fricoter avec la lenteur

ni plus ni moins
qu’on te laissera mûrir tes propres graines
qu’on te caressera l’âme comme on frôle une orchidée
qu’on n’oubliera pas de t’arroser
de baisers
qu’on saura te toucher la nuque à l’endroit juste
de la peine qu’on viendra soulager

que tu reconnaîtras sans peine
ce qui ressemble à ce qui recommence
(si l’on t’aime).


Textes extraits de Théorie de l’émerveil,
                                           Les Hommes sans Épaules, 2019
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