prix  de  poésie  du  monde  français  et  francophone
Jean Portante est né en 1950 à Differdange (Luxembourg), de parents italiens. Il vit à Paris. Son œuvre, riche d’une cinquantaine de livres - poésie, romans, essais, pièces de théâtre - est largement traduite et ses livres ont été publiés dans vingt-cinq pays. En France, il est membre du jury du Prix Apollinaire et de l’Académie Mallarmé. À Luxembourg, de l’Institut Grand-ducal. En 2003, lui a été attribué, en France, le Prix Mallarmé pour son recueil L’étrange langue et, en 2012, le Prix international de littérature francophone Benjamin Fondane. Dix ans plus tôt, son roman Mrs Haroy ou la mémoire de la baleine lui avait valu le Prix Servais du meilleur livre de l’année au Luxembourg. Prix qui lui a été décerné une deuxième fois, en 2016, pour son roman L’architecture des temps instables. En 2011, il a été couronné du Prix national Batty Weber au Luxembourg pour l’ensemble de son œuvre. Bien d’autres prix lui ont été attribués, au Luxembourg, en France, en Allemagne, au Québec et en Italie. Depuis plus de trente ans, il développe un intense travail de traduction. Depuis 2018, il écrit ses livres en deux langues, français et italien.
Ce qui advient et ce qui n’advient pas


                Je suis devenue immatérielle,
                ombre qui se déplace dans la flamme
                de la mort perpétuelle.
                                           Mario Luzi


DE CE QUI ADVIENT OU N'ADVIENT PAS L'OMBRE EST
me semble-t-il le fantôme le moins expérimenté. Non
que de l’un à l’autre le double témoin comme qui
aurait décidé de tendre une oreille ou de figer son
souffle se souvienne de ce qui s’est passé. Je ne suis
pas sûr que quelque chose se soit passé quand est
remontée malgré l’obstruction des nuages une neige
peu encline aux ascensions. Remontée vers où
pourrait-on demander.
                                     Ou que fait une neige
quand au lieu de descendre elle monte. Et
pourquoi de ce qui advient ou n’advient pas ne
jaillirait pas un autre fantôme qui là-bas s’est glissé
dans l’hiver et ici dans les mots. Et pourquoi ce
fantôme se glisserait-il dans les mots ici.




DANS LA POUSSIERE DE CE QUI A ETE QUAND S'Y COLLE
non la farine mais une épaisseur des jours que ni
la pluie ni l’ombre ne savent déchiffrer - dans cette
poussière-là il survit à deux pas de lui-même le village
que surplombe la montagne. Loin trop loin de lui au
centre d’une cuisine où depuis longtemps le blé a été
remplacé par l’acier et l’acier par le souvenir le repas
qu’on prépare est le seul remède contre la perte de
l’oubli.
          Il y a une fissure invisible dans le flanc de la
montagne. Sur la colline d’en face la ruine et le château
lointain en connaissent l’histoire. Elles sont aussi
au-dessus dans le ciel la ruine et la fissure. Et il y en a
même dans le flanc de ta peau. On dirait un lac cicatrisé.
On dirait que rien n’a été recousu après l’opération.




L'OMBRE NON CELLE QUE LE VENT QUI SOUFFLE DANS
la braise peint sur le mur ni l’autre vue le long des
maisons ou à l’intérieur - l’ombre dis-je s’éloigne
de plus en plus de l’idée que je me fais d’une
ombre. Et même sans elle et sans toutes les autres
ombres qu’elles soient vivantes ou mortes l’idée que
je me fais s’éloigne.
                                  Et elle s’éloigne également
du vent l’idée et de la braise sans parler du mur ou
des maisons. À tel point que je me demande à quoi
peut bien servir l’idée que je me fais des choses.
Qu’espères-tu lui dis-je. Que veux-tu vraiment.
Comme si la question était à elle seule la braise
qui fait danser les ombres. Ou le vent qui quand
il ne peint pas baisse les bras et rallume le mystère.




SURPRIS PAR LE JOUR QUI NE SE LEVE PLUS LA LUNE
et le soleil comme deux vieux voleurs souterrains
ont rallumé la torche et se sont mis en route. Je
suis sûr que qui de loin les aurait observés dans
leur pauvre lueur aurait eu pitié d’eux.
                                                               Ce qui
est sûr dans tout cela c’est que la nuit est tombée.
Et qu’une nuit qui tombe est quelque chose qui
hurle. Et que quand quelque chose hurle les voleurs
souterrains se servent de la torche. La torche
qui allume misérablement le ventre des choses
et fait éternuer les éléments. Ô hurlement des
éléments qui éternuent. Ô feu qui s’échappe du
ventre des choses. Et vous vieux voleurs savez-vous
maintenant à qui adresser vos excuses souterraines.




PRESQUE UNE IMAGE CETTE OBSCURE ATTRACTION
qui fait couler les choses vers ce qui fuit l’éternel.
Combien de sommeil faut-il avant que ne soit
effacée la succession des nuits. Et combien en
faudra-t-il pour remettre de l’ordre dans la loi
des innocences.
                           Car dormir vois-tu est la galerie
innocente du temps. Et c’est à coups de pioches
et de pelles que se creuse la descente. Le soir
quand on s’y glisse cela fait longtemps que la nuit
attend les mains travailleuses. L’obscurité montre
le chemin. C’est elle le tunnel. C’est dans elle
que coulent les choses. Inutile de parler de
continuité. Ce qui fuit l’éternel quand résonnent
les coups des outils ne se fabrique ni ne dort jamais.




DEVANT LA GRILLE FERMEE DU CIMITIERE COMMENT
ne pas me dire qu’il y a au moins une justice quand
la terre est retournée. Ceux qui vivent resteront
dehors cette fois. Et à l’intérieur - ce qui est mort.
Visible enfin la frontière séparant les uns des autres.
Une telle exclusion donne cependant presque envie
de mourir.
                On offrirait sa mort pour franchir le seuil.
On désirerait furieusement qu’un passeur légendaire
nous escorte jusqu’à l’autre côté pour voir ce qui s’y
oublie. Tu m’entends j’en suis sûr l’appeler. Mais la
grille ne s’ouvre pas. Est-il révolu le temps où pour
un oui ou un non on entrait dans le pays de la mort.
Est-ce dire que le retour est désormais impossible.
Est-ce dire dis-moi que jamais plus tu ne reviendras.


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